Weité : Note sur la stratigraphie du Jura du Doubs
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NOTE SUR LA STRATIGRAPHIE DU JURA DU DOUBS
par
Pierre Weité.
Extrait de "Mémoires de la Société d’Emulation de Montbéliard, 1947, p 65-69"
La présente note a pour but d’exposer les principaux résultats acquis dans la stratigraphie du jurassique de notre région depuis les études de Wilfrid Kilian, parues dans le Bulletin de notre Société, à la fin du siècle dernier, sous le titre : Notes géologiques sur le Jura du Doubs. Je crois pouvoir rendre ainsi quelques services aux amateurs de Géologie locale, si toutefois il en existe.
J’examinerai successivement les étages Bathonien, Callovien et Argovien.
I. - Le Bathonien.
a Bathonien inférieur. — (Vésulien des auteurs locaux).
Le terme de Vésulien a été employé pour la première fois par Marcou qui, en 1848, appelait Marnes Vésuliennes les marnes à Exogyra acuminata de la région de Vesoul.
Vézian désignait en 1865 sous ce nom de Vésulien, la partie supérieure du Bajocien de d’Orbigny, les Marnes de Port-en-Bessin et les marnes à E. acuminata.
La majorité des auteurs, suivant en ceci Thirria (1833), parallélisaient ce Vésulîen avec le Fuller’s Earth anglais, sous prétexte qu’il contenait en abondance E. acuminata, et, par conséquent, rattachaient ces couches au Bathonien inférieur.
Marcel Lissajous, Géologue de Mâcon, précédé en cela par Berthaud (1869), démontre en 1910 que le Vésulien, faciès local, correspond en réalité au Bajocien supérieur (1).
A. de Grossouvre adopte, en 1915, le même point de vue (2).
La présence de Cosmoceras Garanti, caractéristique de la zone supérieure du Bajocien, dans le Vésulien typique de Vesoul (3), confirme les conclusions de ces auteurs, conclusions reprises par G. Corroy dans la légende de la feuille de Montbéliard, deuxième édition.
Le Véritable Bathonien inférieur (zone à Oppelia fusca), est représenté dans notre région par une série puissante de 40 à 60 mètres de calcaires sublithographiques offrant parfois une teinte rosée.
b) Bathonien moyen. — A la zone Oppelia aspidoïdes correspond, clans le Jura Franc-comtois, une lacune, ainsi que l’a établi G. Corroy (4).
c) Bathonien supérieur. — Cette formation comprend à la base (zone à Clydoniceras discus) le « Calcaire roux sableux » qui n’a guère qu’une épaisseur de cinq à dix mètres, mais augmente de puissance vers l’Ouest, pour atteindre quinze à trente mètres vers Besançon (4).
II convient, comme nous le verrons plus loin, de ranger dans ce Bathonien supérieur, la Dalle nacrée que nombre d’auteurs rattachent au Callovien.
II. - Le Callovien
A la fin du siècle dernier, le Callovien embrassait trois zones qui étaient, de bas en haut, les zones à Macrocephalites macrocephalus, Reineckeia anceps et Pelfoceras athleta (5).
Dans son traité, E. Haug rattache l’Oxfordien la zone à P. alhleta (page 998), à juste titre et pour diverses raisons. Comme raison d’ordre paléontologique, on peut dire avec Rollier que les Peltoceras et Aspidoceras commencent à ce niveau pour évoluer dans tout le Malm, tandis qu’ils sont à peu près inconnus dans le Dogger. En outre, au point de vue stratigraphique, « il n’y a aucune limite nette entre le Callovien supérieur des auteurs et le reste de l’Oxfordien, tandis qu’on peut en trouver une entre le Callovien proprement dit et les marnes de Dives ou leur équivalent, l’oolithe ferrugineuse de Clucy » (6.)
On peut en outre se demander s’il ne convient pas, contrairement à la solution adoptée par MM Fallot et Corroy dans la deuxième édition de la Feuille de Montbéliard, de rattacher la zone à M. macrocephalus ou Dalle nacrée, au Bathonien supérieur.
Arkell, autorité mondiale du Jurassique, rattache, dans son ouvrage « The Jurassic System in Great Britain », la Dalle nacrée au Cornbrash qui comprend deux zones : zone à C. discus et zone à M. macrocephalus. Chez nous, la zone à C. discus est représentée par le calcaire roux sableux à Acanthoihyris spinosa et Rhynchonella Varians (Varians Schichten des auteurs Suisses).
Comme le Jurassique Franc-comtois appartient à la Province anglo-parisienne, il semble qu’il faille suivre cet exemple.
Dès 1887, Louis-Abel Girardot notait l’affinité bathonienne de la faune de la Dalle nacrée. Et Attale Riche, en 1890, déclare que, dans le Jura méridional, la zone à M. macrocephalus présente, au point de vue paléontologique, beaucoup plus de rapports avec le Bathonien qu’avec la zone surimcombante. La stratigraphie donne des indications concordantes : il existe parfois à la partie supérieure de la zone à M. macrocephalus, une surface perforée et une couche ferrugineuse qui semblent indiquer un arrêt de sédimentation. L’auteur place donc la limite du Bathonien entre les zones à M. macrocephalus et à R. anceps, citant à l’appui de son opinion un fait d’érosion locale Visible près de Nantua (7).
Dans ses notes géologiques sur le Jura du Doubs ainsi que dans la légende de la feuille de Montbéliard, W. Kilian ne sépare pas la Dalle nacrée du Bathonien supérieur.
Ainsi donc le Callovien, assimilé à la zone à R. anceps, se trouve réduit, dans le Jura du Doubs à une mince couche de marno-calcaires à oolithes ferrugineuses, qui varie de un à six mètres d’épaisseur et s’amincit encore au voisinage de Pont-de-Roide où un gisement que je suis entrain de fouiller n’offre qu’une puissance d’une trentaine de centimètres.
III. - L’Argovien
L’Argovien est certainement l’étage sur lequel les géologues jurassiens ont élevé les controverses les plus vives ; malheureusement la lumière n’a pas toujours jailli de ces discussions et à l’heure actuelle il est encore beaucoup de géologues qui considèrent l’Argovien comme un faciès qui empiéterait sur l’Oxfordien et la base du Rauracien. M. Dreyfus, dans une étude assez récente parue dans le Bulletin de la Société d’Histoire naturelle du Doubs, déclare que, suivant la coutume des géologues jurassiens, il considérera l’Argovien comme un faciès. En réalité, et en conformité avec le Traité de Géologie de Haug (page 1049), l’Argovien, division inférieure du Lusitanien, correspond à la zone à Peltoceras transversarium et a pour type les couches de Birmensdorf et d’Effingen du Jura d’Argovie.
Dans le Jura du Doubs, on voit reposer sur les couches à Pholadomya exaltata de l’Oxfordien supérieur, les marno-calcaires grumeleux du Glypticien (ou terrain à chailles siliceux), avec Hemicidaris crenularis, Glypticus hieroglyphicus etc ... et qui passent latéralement aux marnes à spongiaires de l’Argovie.
Ce qui confirme l’assimilation du terrain à chailles siliceux à I’Argovien, c’est la découverte dans cette zone d’exemplaires de P. transversarium rencontrés dans le Jura Suisse à l’Est de Montfaucon et, par J. Deprat, dans la marnière de Trépot (8).
Quant aux couches du Geissberg, représentées dans le Jura soit par des calcaires coralliens en bancs massifs, soit par des calcaires oolithiques, elles appartiennent au Rauracien (zone à Peltoceras bicristatum) L’Argovien est donc bien assimilable à la zone P. transversarium et c’est une lourde erreur que de le considérer comme un faciès.
Cette erreur, si tenace, est due au fait que, dans certaines parties du Jura, l’Argovien ne repose plus sur les couches à chailles marno-calcaires (ou zone à Ph. exaltata) de l’Oxfordien supérieur, mais sur les marnes bleues à Creniceras Renggeri de l’Oxfordien inférieur et même parfois sur le Callovîen. Au lieu d’admettre qu’il y avait là une lacune intéressant tout ou partie de l’Oxfordien, on a voulu paralléliser à tout prix les deux séries qu’on jugeait hétéropiques. On a donc été contraint d’envisager l’Argovien bien développé du Jura méridional comme un faciès de l’Oxfordien du Jura septentrional (9). L’argument invoqué était que l’on ne trouve pas d’Argovien dans la partie du Jura où sont représentées les couches à C. Renggeri et à Ph. esaltata et qu’inversement, ces deux couches oxfordiennes manquent dans les régions où l’on rencontre les couches de Birmensdorf, d’Effîngen ef du Geissberg.
Il aurait donc fallu admettre, pour superposer l’Argovien à l’Oxfordien, « deux lacunes se contrebalançant, l’une inférieure à l’Oxfordien dans les contrées à faciès argovien, l’autre correspondant à l’Argovien dans les contrées à faciès franc-comtois. Une telle coïncidence semblait inadmissible.
En réalité, dans notre Jura du Doubs, repose, sur les couches à Ph. exaltata, un Argovien plus ou moins développé et plus ou moins constant, de sorte qu’il n’est nullement nécessaire d’invoquer les deux lacunes précitées pour subordonner l’Oxfordien à l’Argovien.
Ce fait était signalé dès 1887 par Louis-Abel Girardot qui disait très justement 10) : « Ces deux faciès (Oxfordien el Argovien) peuvent d’ailleurs se rencontrer dans la même localité, et alors le faciès franc-comtois, plus ou moins complet selon les localités, est surmonté des assises du faciès argovien. C’est ce qui arrive dans la région de contact des deux faciès, surtout dans les environs d’Andelot en Montagne, jusqu’à Champagnole ».
Il est donc évident que ces dépôts, en rapport constant de superposition ne peuvent être synchroniques. L’Argovien n’est pas autre chose qu’un étage pouvant présenter des faciès différents et des lacunes. Le considérer, pour des raisons de tradition, comme un faciès que revêtent l’Oxfordien et la base du Rauracien serait évidemment se complaire à une ambiguïté et à une obscurité regrettables.
Références
1. Marcel Lissajous : Couches à Ostrea acuminata et Fuller’s Earth. Bull. Soc. Géol. Fr. 4me série, T. X. P. 425.
2. A. de Grossouvre : Sur la limite du Bajocien et du Bathonien et sur l’étage Vésulien. C. R. sommaire Soc. Géol. Fr. XV N° 13, P. 113.
3. Paul Petitclerc : Faunule du Vésulien de la côte d’Andelarre. Feuille des jeunes natu¬ralistes, N" 378, 1902.
4. Georges Corroy : Le Bajocien supérieur et le Bathonien de la Lorraine. Bull. Soc. Géol. Fr., 4me série, T. XXIX, P. 167, 1929.
5. A. de Lapparent : Traité de Géologie, 5em édition, P. 1202.
6. Louis Rollier ; Communications faites au VIIIem Congrès de l’Association Franc-Com¬toise, Lons-le-Saunier, 1909.
7. Attale Riche : Note sur le système oolithique inférieur du Jura méridional. Bull. Soc. Géol. Fr. 3me série, T. XVIII, P. 109.
8. Albert Girardot : Paléontostatique jurassique, Besançon.
9. Paul Choffat : Esquisse du Callovien et de l’Oxfordien dans le Jura occidental et méridional. Mém. Soc. Emul. Besançon, 1878.
10. Louis Abel Girardot ; Rapport à la Soc. Emul. Jura, Lons-le-Saunier, 1887.