Les bois fossiles du gouffre des Bruyères

jeudi 28 octobre 2010
par  Claude
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Extrait d’un article écrit par PHILIPPE Marc sur des bois fossiles des grottes de Franche-Comté

Résumé : des bois fossiles du Jurassique observés dans des cavités de Franche-Comté sont présentés. Ces échantillons permettent d’intéressantes déductions, sur l’évolution des plantes, les flores fossiles, etc. Les bois fossiles, assez fréquent dans les grottes, méritent l’attention des spéléologues.

Abstract : jurassic fossil woods observed in Franche-Comté’s caves are presented. This samples bring interesting elements for plants évolution, fossil floras, etc. Fossil woods, fairly common in caves, deserve speleologists attention.

Le 10 juin 1990, Marc PHILIPPE nous accompagnait à une descente au gouffre des Bruyères pour collecter du bois fossile que nous avions découvert

Le bois fossile n’est pas un fossile très fréquent. Si de plus il n’est pas minéralisé, il se dégrade vite une fois exposé à l’air. Les cavités karstiques, où l’humidité élevée et constante et la température relativement basse limitent l’oxydation, font partie des affleurements naturels riches en bois fossile de tous âges. Cet article se limitera à ceux du Jurassique (-220 / -135 millions d ’ années )

Des restes de troncs quasi actuels sont parfois mentionnés. Mais il faut bien avouer que jusqu’à maintenant les bois jurassiques n’ont eux guère captivé les amateurs de souterrain. LIMAGNE & FRACHON (1986) signalent un tronc d’arbre fossile au toit d’une des salles de la Borne aux Cassots. COUTURAUD (1989) illustre des fragments charbonneux provenant du Bathonien (environ -160 millions d’années) d’une rivière souterraine de la Nièvre. D’autres informations circulent de bouche à oreilles. Tout cela reste bien maigre.


Tronc d’arbre fossile à la borne aux Cassots affleurant la voûte.




Grâce à la coopération avec le Groupe Spélé-Archéo de Mandeure des échantillons ont pu être récoltés dans des grottes lors de recherches de terrains pour une thèse sur les bois fossiles du Jurassique de Franche-Comté (PHILIPPE, 1991). Leur étude a fourni d’intéressants renseignements sur les plantes fossiles et leur évolution. Cet article essaye d’en illustrer quelques aspects, tentant ainsi de démontrer que les bois fossiles méritent l’attention des explorateurs de gouffres et autres trous.


... ...


Bois fossiles du Gouffre des Bruyères


C’est lors de ses prospections au Gouffre des "Bruyères" que le Groupe Spéléo-Archéo de Mandeure a repéré des bois fossiles. Ceux-ci se trouvent à deux niveaux. Le premier est dans un calcaire marneux, riche en gros bivalves fouisseurs (cf. Pholadomya sp.). C. PARIS a également récolté dans ce niveau une ammonite (Perisphinctes sp. , dét . F. ATROPS ) , qui permet de dater le niveau de l’Oxfordien moyen, zone à Transversarium (environ 150 millions d’années).

Les bois y sont assez abondants, mais très altérés. Seuls quelques fragments ont pu être approximativement déterminés.


Vue au microscope électronique, échelle : 100 microns pour fig 4 : plan radial, ponctuation radiale araucarienne. Echelle : 10 microns pour fig 5 : champ à 2-4 oculipores cupressoïdes


Le second niveaux, de même âge, est situé plus haut, dans des calcaires à fossiles silicifiés (Echinodermes, Brachiopodes, Bivalves, ...). Un seul échantillon y a été trouvé. Il s’agit d’un axe d’environ 70 cm de long, ligniteux, partiellement pyritisé, avec une petite ramification sur le côté.


Vue de l’échantillon in situ ...




C : vue transversale, loupe binoculaire, échantillon n°MP 317 dégagé à l’acide nitrique à chaud
D : vue tangentiellecoupe_bois_fossile, échantillon n°MP 317 dégagé à l’acide nitrique à chaud.

Vue au microscope électronique, échelle : 10 microns. Plan tangentiel : détail des spéroïdes de pyrite en agrégats



Les bois ont été étudiés au microscope électronique à balayage, et à l’aide de coupes minces réalisées à la lame de rasoir (pour les plus tendres). Certains fragments ont été traités à l’acide nitrique à chaud. Cette technique permet de dégager des détails de l’ornementation des bois, particulièrement en cas de ferruginisation. Les bois du premier niveau ont été déterminés comme ProtocupressinoxyIon sp., celui du second niveau comme Agathoxylon desnoyersii.

La présence de Protocupressinoxylon n’apporte pas beaucoup de renseignements. Il s’agit d’un genre très courant, du Trias au Crétacé, et de la Chine à l’Arizona en passant par le Maroc ! FRANCIS (1983) a pu, à partir de fossiles du Purbeckien (Crétacé inférieur) anglais, reconstituer la silhouette d’un ProtocupressinoxyIon.



Agathoxylon desnoyersii est plus intéressant. Il est connu dans le Callovien inférieur de Bourgogne (LEMOIGNE, 1968), dans le Callovien moyen, l’Oxfordien inférieur et l’Oxfordien moyen de Franche-Comté (PHILIPPE, 1991), ainsi probablement que dans le Callovien moyen de Pologne (REYMAN, 1956), le Callovien moyen du Sud de l’Allemagne (SALFELD, 1907) et l’Oxfordien supérieur de Normandie (LIGNIER, 1907). Souvent associé à des formations récifales, cet arbre peuplait sans doute les atolls de l’époque.

Le bois d’Agathoxylon desnoyersii est proche de celui des araucarias, des arbres qui ne poussent aujourd’hui que dans l’hémisphère Sud. Sa présence en France au Jurassique est donc peut-être le signe d’une répartition passée différente. Si le bois s’avère bien appartenir au même groupe que celui des araucarias actuels, cela impose qu’il y ait eu, à un moment ou un autre, "migration" de flore entre l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud. Cette évolution des flores continentales est un témoin capital du mouvement des continents, et peut fournir des arguments importants.

CONCLUSION


Ces quelques aperçus illustrent l’utilisation qu’il peut être fait des renseignement apportés par des bois fossiles, dans le cadre de discussion aussi fondamentales que la reconstitution des écosystèmes fossiles, la dérive des continents, ou l’évolution des plantes.

Plus simplement ce travail illustre aussi combien de questions un simple fragment de bois fossile peut poser à un esprit curieux. Ce sera peut-être bientôt votre tour !


Caractérisation des bois fossiles :


Le bois fossile est généralement assez facile à reconnaître. Il ressemble le plus souvent ... à du bois. Il peut être plus ou moins minéralisé par de la pyrite, des oxydes/hydroxydes de fer, de la calcite, ou encore de la silice. Altéré il devient noir, avec une cassure concave (jais). Sinon il a l’allure de fragments de charbon de bois, plus ou moins brunâtre et terne. Après récolte il doit impérativement être conservé dans l’atmosphère la plus sèche possible.

Le type de calcaire où on peut trouver du bois fossile est très variable : calcaires fins, marneux, à débris silicifiés, etc. Le plus souvent il s’agit cependant de calcaires peu oxydés, à pâte fine, et ayant sédimenté dans des milieux peu agités, à proximité des rivages de l’époque.

Niveaux où l’ont peut les rencontrer :


Deux niveaux surtout sont susceptibles de livrer des bois fossiles, et éventuellement d’autres restes de plantes, dans des cavités du Jurassique en France ; il s’agit du Bathonien moyen et de l’Oxfordien moyen. Le premier de ces niveaux est connu à la bordure de tout les bassins : Quercy, Berry, Normandie, Pas de Calais, Lorraine, Bourgogne, Jura, Causses, Provence. Il a même été exploité localement dans les Causses pour ses lignites maigres (stipites). L’Oxfordien moyen correspond à des roches plus variées en France, et il est moins propice. Ce niveau est connu dans le Jura, la Bourgogne, la Lorraine et la Normandie. D’autres niveaux peuvent être localement riches : Callovien de Normandie et de Bourgogne, Kimméridgien du Jura Sud, Bajocien des Alpes du Nord, etc.

BIBLIOGRAPHIE :
PHILIPPE, M., 1991. Les bois fossiles du Jurassique de Franche-Comté (France). Thèse de Doctorat, Université Lyon I, 235 pp., 19 pl. h.t., 53 fig., 14 tabl.


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